En matière d’influenceurs business, le web francophone présente un net excédent de bullshit par rapport aux contenus pertinents. Mais en cherchant un peu, on trouve du très bon. C’est ça le truc, c’est que le bon contenu se mérite.
Telle est ma conclusion après avoir récemment exploré la sphère francophone des « influenceurs business », ou supposés tels, proposant du contenu gratuit sur les réseaux sociaux ou leurs blogs.
L’occasion de confirmer que le web francophone offre évidemment un choix plus restreint d’influenceurs dans le domaine du business que le web anglophone. C’est la démographie qui veut cela mais aussi le fait que le phénomène des influenceurs, comme la plupart des phénomènes online, a pris corps dans les pays anglo-saxons bien avant d’atteindre la francophonie. Certains influenceurs anglo-saxons ont rencontré un succès tel qu’ils ont aiguisé les appétits bien au-delà de la sphère anglophone. Certains américains comme Tony Robbins ou Tim Ferriss ont commencé sur la thématique du développement personnel bien avant l’avènement des réseaux sociaux et n’y ont finalement que prolongé et amplifié des travaux déjà bien entamés. Aujourd’hui encore, toutes les 30 secondes, un bon vieux spot de pub pour les produits de Tony Robbins est diffusé quelque part dans le monde sur une chaîne de télé. Vertigineux.
On trouve des contenus francophones de très bonne qualité, émanant d’entrepreneurs expérimentés, dont le recul est un atout évident qu’il s’agisse d’appuyer leurs contenus sur leur propre expérience, de proposer des interviews, d’animer des tables rondes sur différentes thématiques, etc.
On trouve aussi dans le domaine une quantité affligeante de bullshit, et on va parler.
Au-delà de l’ineptie des propos, souvent à déplorer, on est surtout frappé par la dimension mythomane atteinte par beaucoup à un point que c’en est effrayant. En fait on pourrait volontiers en rire si l’on ne se rendait compte en lisant les commentaires sous leurs contenus, que des milliers de personnes consomment inepties et mensonges en grandes quantités et les prennent pour argent comptant.
Les influenceurs influencent, même discrètement
Car la caractéristique première d’un influenceur est logiquement sa capacité à influencer. Entendons par là, sa propension à obtenir l’adhésion à ses opinions. « J’en pense comme vous, mon Général ! » Mais plus subtilement, cela commence par la capacité à rassembler du monde autour des questions qu’on pose… y compris (et surtout ?) quand elles sont mal posées, orientées, stériles, sans objet, relevant d’un combat d’arrière-garde, etc.
Car on peut se draper dans son indépendance d’esprit et asséner une réponse cinglante à l’un de ces influenceurs après lui avoir signifié notre désaccord sur un sujet, il n’empêche qu’on est bien rentré dans le débat avec lui, autrement dit, on a accepté que son sujet en soit un et que la manière de le poser mérite notre réaction. C’est toute l’habileté de l’influenceur que d’aller chercher des réactions, même négatives, en titillant notre tendance naturelle à répondre à la volée dès lors qu’une question nous est posée.
Comment pourrait-il en être autrement, déjà ? Les réseaux sociaux ont littéralement instauré le « syndrome de l’objet brillant » à savoir, la mise en avant des publications qui suscitent des réactions, créant ainsi l’apparition « d’objets brillants » dans le champ de vision que constituent nos fils d’actualités. Le problème est que si les réseaux sociaux adorent tout ce qui brille, on sait aussi que tout ce qui brille n’est pas or. Autrement dit, ne pas confondre ce qui brille et ce qui est brillant.
LinkedIn, Facebook, Youtube, etc, ont tous des algorithmes qui mettent en avant les publications recevant un grand nombre d’interactions. Pour être vu et mis au premier plan, il faut obtenir du commentaire, du partage et du j’aime.
Les influenceurs (notamment les plus jeunes) l’ont particulièrement bien compris et beaucoup sont passés maîtres dans les publications destinées à faire tourner la machine à engagement.
Les méthodes préférées des influenceurs
On recense différentes méthodes pour y parvenir :
Tout commence généralement par un bout de storytelling dont le meilleur camelot ne renierait pas la grossièreté des ficelles. « Hier je rencontre un ami, il sortait d’un entretien d’embauche, et v’là t’y pas ce qu’il me raconte… »
Puis vient, au choix :
L’enfonçage de portes ouvertes :
J’affirme un bon gros truc bien évident, du genre « moi je crois qu’on devrait tous avoir une chance de faire nos preuves », que je ponctue de préférence par un « qui est d’accord ? », des fois que le premier appel à l’acquiescement ne suffise pas. Résultat garanti, ouvrez grand le piège à bénis oui-oui !
La bonne vieille démagogie produit aussi des résultats fabuleux :
« Moi je dis que la volonté passe avant les compétences, qui est d’accord ? »
Question parfaite pour draguer toutes les personnes qui vivent mal leur recherche d’emploi infructueuse, les aspirants entrepreneurs qui n’ont pas pu lever un euro autour de l’idée du siècle faute d’avoir convaincu un investisseur qu’ils en ont les compétences, ou ceux qui sont persuadés de mériter une promotion bien plus que leur voisin, c’est à dire à peu près tout le monde ! Les termes de l’énoncé doivent surtout rester suffisamment vagues pour que chacun s’y reconnaisse.
Autre exemple récurrent (il marche tellement bien celui-là que les gars se le repiquent entre eux régulièrement) : « Moi je crois qu’un diplôme ça ne veut pas dire grand chose, ce qui compte c’est l’expérience, qui est d’accord ? »
Parfait pour attirer toute personne à la scolarité mal digérée, mais aussi bien légitimement toutes les personnes qui se voient encore renvoyées à leur manque de diplômes alors qu’elles ont 20 ans de métier… et puisqu’il s’agit aussi d’attirer les gens qui ne sont pas d’accord, on aura aussi toutes les personnes qui ont travaillé dur pour leur diplôme et qui n’entendent pas laisser ainsi dénigrer son utilité. Là aussi ça en fait du monde ! Donc, ça fait de l’engagement.
Et à ceux qui renchérissent dans la démagogie, viennent exprimer leur désaccord ou plutôt enfoncer la porte ouverte avec l’influenceur, s’ajoutent ceux qui ont compris la supercherie et viennent le dire. Ceux-là contribuent à leur corps défendant, à améliorer la visibilité de ces publications qui les horripilent.
A ce propos, c’est aussi pour booster le taux d’engagement que tant de publications contiennent au monis une faute d’orthographe grossière… certaines publications recevant ainsi plus de commentaires sur l’orthographe que sur le fond du sujet… et vis-à-vis de l’algorithme tout ça compte pareil.
Le sujet bancale est également une méthode qui a fait ses preuves :
« L’autre jour je me suis trouvé face à un acheteur qui m’a sorti son tableur Excel pour me montrer que j’étais 3,6% plus cher que mon concurrent, y en a marre des tableurs c’est n’importe quoi ! »
On obtiendra ici l’adhésion de tous les allergiques aux chiffres et autres enfumeurs professionnels, déjà. Ensuite, le soutien de tous ceux qui estiment à juste titre qu’un produit/service ne se résume pas à un prix et que les acheteurs feraient bien d’améliorer leur culture du produit plutôt que de s’en tenir à leur tableur. Et voilà donc les enfumeurs que les chiffres mettent mal à l’aise, en pleine argumentation avec ceux qui de bonne foi, défendent les caractéristiques produit. L’auteur de le publication d’origine évitera bien sûr de revenir clarifier son propos. Car plus le propos reste confus, plus le nombre de participants sera important.
Les jeunes influenceurs, rois du trompe-l’oeil ?
Les digital natives occupent tout naturellement cet espace et s’y trouvent très à l’aise, car ils ont parfaitement compris comment marche le buzz .
Place au « life coach » de 23 ans qui est forcément crédible du fait qu’il a 150 vidéos sur Youtube souvent plus creuses les unes que les autres, ou simplement copiées/collées d’autres influenceurs, mieux placés ou pas. Si à 23 ans tu n’as pas fait ta vidéo « morning routine » ou « le secret des start-ups qui réussissent », tu as d’ores et déjà raté ta vie.
N’oublions pas le joli paquet d’abonnés qui doit forcément aller avec. Pour le prix d’un mois de stage, on peut en acheter 10000 en toute discrétion. De quoi donner au premier qui passe l’impression que la chaîne Youtube en question est incontournable et que le grand ado qui gesticule face caméra est un cador.
Place au « serial entrepreneur » de 22 ans dont on ne peut jamais savoir exactement en quoi consistent les activités entrepreneuriales, sans parler des résultats obtenus, des emplois créés, etc. Dernièrement je suis tombé sur la vidéo absolument sidérante de l’un d’entre eux… qui parlait comme s’il avait 15 ans de plus. L’air blasé, il raconte son histoire… « Il y a quelques années j’étais commercial dans une très grosse boîte parisienne, j’étais dans la rat race (NDLA : super important de parsemer son propos de termes anglo-saxons !), je gagnais des fortunes, j’avais de très gros clients, mais bon je me suis dit que la vie c’était pas ça ».
Sérieusement.
Ceux-là seront souvent les premiers à asséner de grandes affirmations sur le management alors qu’ils n’ont jamais managé personne, par exemple. Ou à se lancer dans de grandes tirades sur la prise de risque en mode « même pas peur », sans conjoint(e), sans enfants, sans crédits sur le dos, et sans un euro investi autrement que dans un iPhone et un micro-cravate. Ou à s’illustrer dans les jolies vidéos clickbait qui promettent la stratégie miracle pour faire « fortune » dans l’e-commerce par le dropshipping, par exemple, avec explication fumeuse devant un paperboard où il ne sera question ni de TVA, ni de déclarations douanières, ni de SAV, ni de responsabilité produit, ni de référencement… à ce compte-là, le business est vite rentable, c’est certain.
Entendons-nous bien ! Il n’y a pas d’âge pour entreprendre et adopter l’état d’esprit (pardon, le mindset, comme il convient de dire apparemment) qui va avec.
Ce que je regrette, c’est l’enfumage permanent.
Soyez vous-mêmes, jeunes gens ! Assumez les débuts difficiles, le manque d’expérience, et le challenge qui consiste à attirer l’attention de manière crédible et intéressante quand on n’a pas encore un gros palmarès à montrer. Documentez le tout, faites-en le coeur de vos chroniques, allez interviewer des gens qui ont vraiment entrepris… ce serait tellement plus intéressant de vous suivre dans ces conditions.
Cela me semble d’autant plus important que viendra un jour où vous devrez cesser l’enfumage et réellement gagner votre vie. Le web a une mémoire… indélébile. Il est probable que d’ici quelques années vous aurez beaucoup de mal à assumer vos années bullshit.
L’enfumage suppose la complicité de l’enfumé
Pourquoi n’y a-t-il pas plus de gens pour creuser un minimum le background de ces influenceurs et se rendre compte que l’essentiel de leur aura est basée sur du vent ?
Parce que la paresse intellectuelle règne en maîtresse, favorisée par la profusion de contenu autour de nous. On a l’impression que les points de vue les plus simplistes n’ont jamais été aussi nombreux à tout propos, alors que la masse d’informations censées permettre de nuancer un point de vue n’a jamais été aussi énorme.
Mais le cerveau humain a des limites dans le traitement de données. Ces limites sont dépassées depuis longtemps par les plateformes internet. Rien que sur Youtube, 400 heures de vidéos sont mises en ligne à chaque minute qui passe. Le web compte par ailleurs plus de 30 000 milliards de pages.
Le cerveau humain est en recherche permanente de simplification. Et plus il est exposé à la complexité, plus il a besoin de simplification. C’est bien pour ça que les débats manichéens font toujours autant recette : de droite ou de gauche ? foot ou rugby ? vegan ou viandard ? Messi ou Ronaldo ?
Habitué à des contenus courts, le cerveau 2018 veut tout savoir en 1mn30 sur n’importe quel sujet. Pas étonnant que la superficialité soit de mise ! Faire une recherche sur le background d’un influenceur va prendre plus de temps que de consommer ses contenus… surtout quand dès les premières secondes la recherche de background ne donne rien… ou seulement du contenu maîtrisé par l’influenceur lui-même : pages de son propre blog, profils de réseaux sociaux, interviews ou auto-interviews… les influenceurs de 22 ans n’ont laissé de traces nulle part puisqu’ils ne sont jamais passés nulle part.
Beaucoup d’influenceurs semblent être dans une démarche parfaitement circulaire : « Je suis légitime à te donner des conseils business car j’ai moi-même un business qui consiste à donner des conseils business ». Sachant qu’en réalité il s’agit essentiellement de donner des conseils à des aspirants entrepreneurs dont la grande majorité ne passe jamais à l’action mais se gave de vidéos sur le sujet.
Je n’ai aucun problème avec la jeunesse (d’ailleurs j’ai un très bon ami jeune), les formats courts ou les réseaux sociaux.
J’ai un problème, en revanche, avec le vide.
Surtout quand il est présenté comme étant du contenu.
Les bons influenceurs sont d’abord des praticiens
Avant d’être la référence absolue en matière d’influence sur le business du digital, Gary Vaynerchuk est un type qui a fait passer un business familial de 3 millions USD à 60 millions USD, à la force du poignet. Il emploie des centaines de personnes et gère les budgets de marketing digital de très grandes marques. Chris Ducker, devenu en quelques années la référence européenne en matière de personal branding, est avant tout le patron d’une boîte d’assistants virtuels aux Philippines employant des centaines de personnes pour du business dans des dizaines de pays. John Lee Dumas, auteur du support de coaching personnel « The Freedom Journal » a passé 5 ans à interviewer près de 2000 entrepreneurs dans un podcast dont les épisodes ont été téléchargés des dizaines de millions de fois.
Cocorico ! Voici 3 influenceurs français dont j’apprécie tout particulièrement le travail :
Nicolas Quilliet, qui anime l’excellente émission web « Sur la Route », est patron d’une agence de marketing digital.
Alexandre Contart a derrière lui une vraie carrière dans la production musicale et continue de diriger au quotidien le Studio Dorian Gray, agence de création de vidéos. Ses vidéos Upgrade et ses sessions live sont toujours ancrées dans son expérience.
Pauline Laigneau a commencé par l’entrepreneuriat en créant en famille une marque de bijoux. Son podcast Crème de la Crème vaut le détour !
Dès qu’on creuse un minimum, on trouve des praticiens, passionnants à suivre, qui ont une vraie légitimité et un vécu sur lequel s’appuyer, et le recul et l’humilité nécessaires.
Tant qu’on reste en surface, on trouve les autres. En fait ce n’est pas tant qu’on les trouve, mais que tristement ce sont leurs contenus qui apparaissent en premier. La recherche de bons contenus est donc plus jamais une affaire d’envie. Mais aussi, de mise en avant de ce qui nous plaît et nous paraît pertinent quand on tombe dessus ! Un mot d’encouragement et un simple clic sur un bouton « Partager » plutôt qu’un bouton « J’aime », peuvent faire une énorme différence.
On a les influenceurs qu’on mérite, en somme.
j’apprécie également le podcast de Pauline laigneau.
Je ne connaissais pas les 2 autres je vais ecouter ça. Merci NICOLAS.