Pourquoi on fait si peu de veille concurrentielle ?

Pourquoi on fait si peu de veille concurrentielle ?

(Si tu préfères écouter cet article en podcast, c’est par ici)

Pourquoi on fait si peu de veille concurrentielle ?

Je me rends compte à quel point on en fait très peu quand manifestement d’autres en font beaucoup plus. On me pose souvent la question de comment j’organise ma veille concurrentielle. Or je n’en fais pas de manière systématique ou délibérée.

 

La veille concurrentielle ? Pas le temps !

La première raison ? On n’a pas le temps.
On n’a pas que ça à faire. On a une entreprise à faire tourner. On est déjà très occupés à être nous, et à tout aligner pour être nous, à faire savoir qu’on est nous et en quoi ça consiste… sans en plus devoir essayer de comprendre qui sont les autres, ce qu’ils font, comment ils le font, pourquoi, et est-ce qu’on pourrait faire pareil.
J’ai pas le temps, mon équipe non plus.
Parfois on m’a dit « recrute ». Tu n’as pas le temps de le faire, ça se comprend. Tu diriges une boîte, y a du boulot, tu as autre chose à faire. Mais recrute alors ! Recrute quelqu’un dont ce sera le boulot. »
Mais plusieurs choses me viennent, par rapport à ça.

 

Recruter pour faire de la veille concurrentielle ? Bof.

Recruter quelqu’un pour faire de la veille concurrentielle (entre autres choses sans doute, car je n’imaginerais pas recruter quelqu’un qui ne ferait que ça…), mais comment irions-nous recruter la personne ? En lui présentant quoi ? Quel intérêt aurait ce poste ?

 

« Venez chez Atavik exercer un job qui consistera à regarder ce que font les concurrents. » J’ai énormément de mal à concevoir que quelqu’un pourrait être intégré à notre équipe et fonctionner dans l’état d’esprit global qu’est celui de notre équipe, en ayant ça comme fonction principale. Et les gens qui postulent chez nous viennent généralement pour être Atavik, pas pour s’occuper des marques concurrentes.

 

Et le fil conducteur de tous nos jobs chez Atavik, c’est d’être Atavik. D’en incarner la raison d’être, l’état d’esprit, la personnalité, la mentalité qui va avec. Je me vois mal rappeler ça à quelqu’un qu’on a embauché alors que sa fonction principale consiste à regarder ce que font les autres.

 

Par ailleurs, payer quelqu’un à regarder ce que font les autres veut dire qu’on accepte que la masse salariale, qui est le plus gros poste d’une entreprise comme la nôtre, soit en partie dictée par l’existence des concurrents. J’ai 10 concurrents, je recrute quelqu’un pour les suivre. L’an prochain j’ai 20 ou 30 concurrents, je fais quoi ? Je recrute une deuxième, puis une troisième personne ? Je finis par avoir une cellule complète de veille concurrentielle et ma masse salariale est drivée par ce que font les concurrents ? Ce serait leur donner une influence sur nous, nos finances et l’usage qu’on en fait, que les concurrents ne méritent absolument pas et qui n’est pas du tout judicieuse.

 

Pendant que mes ressources sont occupées à payer des gens à regarder ce que les autres font, on n’est pas en train de les payer à amplifier ce que nous avons à faire. Garde ça en tête, car il en va à la fois de tes ressources financières mais aussi de tes ressources de temps, et de ta bande passante mentale : toutes les fois que tu es en train de te prendre la tête sur ce que font les concurrents, tu n’es pas en train de te concentrer sur ce que toi tu as à faire.

 

Je ne dis pas qu’il ne faut jamais le faire, qu’il n’y a pas de temps des choses à remarquer chez les concurrents, ne serait-ce que pour remarquer quand ils sont en concurrence déloyale et y faire quelque chose… mais sinon, la plupart du temps, il faut garder conscience que le temps passé à regarder sur les côtés est du temps en moins pour regarder devant soi.

 

Et pour revenir à un éventuel recrutement dans le domaine de la veille concurrentielle, se pose aussi la question de la motivation de la personne.

 

Motiver un salarié chargé de la veille concurrentielle ?

Motiver quelqu’un tous les jours sur un job consistant à aller à la recherche des best practices chez les autres, je me vois mal le faire. La mission d’Atavik, c’est de changer la vie des chiens, des chats et de leurs maîtres, par la meilleure alimentation possible. C’est une mission positive. Je me vois très mal demander à quelqu’un de se lever le matin pour surveiller les concurrents, copier ce qu’ils font et le déployer pour nous.

 

La veille concurrentielle, pour copier des produits ?

Parce qu’il y a ça, aussi : on va faire du benchmark concurrents pour faire quoi ? Pour faire comme eux ? On n’est pas eux, justement.
Notre mission est très claire pour nous, elle nous fait vibrer chaque jour. Elle ne consiste pas à faire comme font les autres. La mission n’est pas, par exemple, de proposer une alimentation aussi bonne que la plupart de ce qui existe ailleurs, mais moins cher. Ca, c’est déjà une mission qui suppose de passer ton temps à regarder ce que font les autres. Tes convictions personnelles profondes sur les produits, quand ta mission est celle-là, je me demande bien où elles sont.

 

J’ai un concurrent dont c’est quasi littéralement le motto. Je n’ai aucun problème avec ça, si c’est ce qui le fait se lever le matin, c’est littéralement son affaire.
Mais les stratagèmes qu’il déploie pour y parvenir, ou pour expliquer à ses clients qu’il y parvient, je n’en veux pas pour Atavik, tout simplement parce que l’objectif d’Atavik est d’être le meilleur produit possible. Pas d’être le moins cher, pas d’être moins cher que la marque X, pas d’être aussi bon que la marque Y. Notre objectif, c’est d’être les meilleurs possible au point de changer la vie des chiens, des chats et de leurs maîtres. C’est l’excellence recherchée qui plaît à nos clients. C’est ce qu’on leur promet. Donc on s’y tient, et on écarte de notre champ de vision tout ce qui ne relève pas de cette mission.

 

Elle fait aussi vibrer nos clients. Ce qu’ils viennent chercher chez nous, c’est nous.

 

Pour copier des pratiques marketing ?

Les pratiques marketing, c’est autre chose. On réfléchit déjà beaucoup à nos pratiques à nous, et on se documente beaucoup sur les pratiques marketing de manière générale. Mais là-dessus, notre source d’inspiration vient plutôt des autres secteurs que de celui du petfood.

 

Je m’intéresse énormément à ce qui se pratique dans d’autres secteurs. Ce n’est pas de la veille concurrentielle, ce n’est même pas de la veille sectorielle, ce serait plutôt de la veille trans-sectorielle. Je regarde des gens qui ne sont absolument pas nos concurrents. Je trouve ça beaucoup plus enrichissant et beaucoup plus générateur d’idées nouvelles, pour une raison toute simple.

 

Nos concurrents sont le plus souvent prisonniers des mêmes schémas que nous. Ils ont les mêmes habitudes liées à notre marché, nos prospects, nos clients. Ils ont les mêmes pensées limitantes, les mêmes gimmicks, les mêmes points de repère. Il y a en réalité très peu de chance que l’inspiration provienne d’un concurrent dans ces conditions ! Ce qu’il est en train de faire, je l’ai fait 6 mois avant ou j’allais le faire 2 mois après, et l’inverse est sans doute vrai aussi.

 

Il y a beaucoup plus de chances de trouver des idées originales voire disruptives, dans des secteurs qui ne sont pas le nôtre. Il y a un grand nombre de pratiques en vigueur chez Atavik aujourd’hui qui sont inspirées de ce qui se fait dans des secteurs n’ayant rien à voir avec le petfood, et/ou des pays qui n’ont rien à voir avec la France.
Il m’est d’ailleurs déjà arrivé plusieurs fois d’apporter une idée neuve à un confrère dirigeant d’entreprise dans un secteur différent du mien… c’est même l’idée de départ de ces podcasts, articles et contenus depuis 3 ans.

 

Allons-y pour la minute prétentieuse. Atavik est là depuis 2012. Nous avons la gamme la plus large dans notre domaine. Quand on a commencé, il y avait 3 ou 4 marques. 8 ans plus tard, des dizaines sont apparues, et de nouvelles apparaissent tous les les mois. Si point de référence il doit y avoir, ce serait plutôt à nos jeunes concurrents de regarder ce que nous faisons. Parce qu’on s’est méchamment développés. Parce qu’on a une fidélité client bien au-dessus de la moyenne. Parce qu’on est rentables chaque année et depuis longtemps. Et sans lever un centime depuis nos débuts. Parce qu’on a des produits qui sont au top de ce qui peut se faire.

 

Bon pour le coup, y en a pas mal qui regardent, on dirait : on croise pléthore de copier-coller de nos argumentaires, des ersatz de nos slogans parfois, et un très grand nombre de ces nouvelles marques sont allées se fournir directement dans le catalogue des usines qui fabriquent pour nous. C’est d’ailleurs très drôle de les voir ensuite déployer leurs argumentaires pour mettre en avant des produits que 20 autres jeunes marques possèdent à l’identique. Certains n’hésitent pas à expliquer qu’ils ont fait 3 ans de R&D pour mettre leurs produits au point. 3 ans pour découvrir un catalogue en marque blanche et le feuilleter, disons.

 

Copier des fonctionnalités produit ou carrément les produits eux-mêmes, ce n’est pas super excitant. Il y a quelques basiques intéressants à avoir dans une gamme, évidemment. Mais au-delà de ça, bof.

 

La veille concurrentielle, pour copier un discours ?

Copier leur discours ? Déjà, il faut savoir que depuis 5-6 ans, environ 90% des nouvelles marques apparues sur notre marché tiennent un discours qui est illégal. Des concurrents utilisent des mots qu’ils n’ont pas le droit d’utiliser pour décrire leurs produits, ils présentent des visuels de supposés ingrédients qui sont en réalité absents de leurs produits et qui sont des visuels interdits, ils font des publicités comparatives expliquant qu’ils sont les sauveurs de la planète ou des animaux alors que tous les autres sont des pollueurs et des assassins… tout ça est interdit. Tout ça relève de la concurrence déloyale… et quand bien même ce ne serait pas le cas, je peux difficilement imaginer plus nul comme démarche.

 

Copier des arguments à deux balles ou copier des discours mensongers, non merci.

 

Pour copier des opérations marketing, alors ?

La marque X, par exemple, sur un gros salon grand public à Paris, met un très beau triporteur aux couleurs de sa marque à l’entrée principale. Elle y ajoute une demi-douzaine de personnes habillées à ses couleurs, et qui distribuent pendant 3 jours des tote bags sérigraphiés remplis de brochures, goodies et échantillons gratuits… le tout à 40 000 visiteurs. Ah ça, ça fait de la visibilité ! Pendant 3 jours, on voit leurs tote bags partout dans les allées. Coût de l’opération ? Sans doute entre 45 et 50 000 euros, juste sur un week-end.

 

 Voyant ça, on va faire la même chose ? Au prochain salon, on va distribuer des tote bags à tous les visiteurs ? On va repasser derrière ce que la marque X a fait l’année d’avant ? Il se passera quoi si 5 autres marques témoin de la même chose décident d’en faire autant en même temps que nous ? Si tous les 20 mètres une marque distribue des tote bags ? Les gens ne vont pas s’en mettre 6 en bandoulière. Et donc, c’est notre tote bag que les gens enfourneront sans même le regarder dans celui d’un concurrent, ou l’inverse ? Combien de fois ? Une fois sur deux ? Ou sur quatre ? Je n’en sais rien.

 

 Quand le concurrent a fait le truc, c’est trop tard. Aller copier ça au salon suivant, ou l’année d’après, ça n’a aucun intérêt. Les gens diront « T’as vu ? Ils font comme X l’an dernier. J’ai encore celui de la marque X chez moi. Je me demande si la marque X va encore en distribuer cette année. Peut-être que la marque X a sorti un nouveau modèle cette année, on va aller voir leur stand. » Dans l’esprit des gens, tu deviens la marque qui fait « comme X ». C’est la marque X qui devient le point de référence quand les gens parlent. Le simple fait que tu as copié l’opération de la marque X leur a rappelé l’opération de l’année d’avant… qu’ils auraient sans cela, certainement oublié !

 

Tout ce qui brille n’est pas or…

Autre chose, la finance pure et dure : on voit ces méga-opérations, on voit les concurrents faire de la gratuité à tour de bras, des conditions de commande et de paiement incroyables. On sait aussi que les implantations dans certaines enseignes se font à grands coups de remises énormes, de marges arrière, de reprises d’invendus, de rachat de stock des concurrents qu’on déloge.

 

 Alors, il faudrait faire pareil ? Ca me fait penser aux expressions de nos parents quand on leur disait que la mère de notre copain Machin lui donnait la permission d’une heure du matin… le fameux « moi je suis pas la mère à Machin ! Et si Machin saute d’une falaise, tu vas le suivre aussi ? »

 

 Finalement toute la sagesse business du monde se trouvait déjà dans les recommandations de nos parents 🙂

 

Ces marques qui rasent gratis pour s’implanter ici ou là, elles y laissent combien derrière ? Parce que pouvoir y laisser leur chemise avant même de savoir combien ça va leur rapporter pose immédiatement la question de comment elles sont financées. Et la plupart du temps, tu n’en sais rien, de comment sont financés tes concurrents. Si ça se trouve, ils consentent à balancer dans le vent chaque année des millions en opérations marketing diverses dans l’espoir qu’à un moment futur, ça paye. Ils ont peut-être raison de le penser… mais il est aussi possible qu’ils se plantent complètement. Et ils ont peut-être des investisseurs ravis de les financer à perte.

Tu risques de ne pas en savoir grand chose, parce que les marques concernées ne s’en vantent pas. On est dans un domaine où il est souvent très compliqué de savoir comment les gens sont financés, combien ils gagnent, combien ils perdent. Enormément de mes concurrents ont leur siège ailleurs qu’en France, et leurs sociétés sont montées de manière complexe, de sorte qu’il soit quasiment impossible d’obtenir des infos financières fiables.

 

J’ai un concurrent depuis 5 ans, qu’on voit un peu partout : le web, les réseaux sociaux, la presse, la grande distribution alimentaire, la grande distribution spécialisée, l’export un peu partout en Europe. Tout récemment, on apprend qu’ils viennent de lever plus de 20 millions d’euros. Super !

 

Mais en même temps, on apprend que l’an dernier, ils ont fait 3,4 millions d’euros de pertes malgré un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros. Tu as bien lu : au bout de 4 à 5 ans d’existence, ça perd 122 euros chaque fois que ça en encaisse 100. Et au cumul, pas loin de 6 millions d’euros de pertes depuis leurs débuts. Car on lit aussi qu’il avait déjà fait une levée de fonds multi-millionnaire il y a 3 ans… pour en faire quoi du coup ? Manifestement, tout brûler sans jamais trouver l’équilibre.

 

Alors, on fait quoi ? On copie leur marketing ? On cherche à s’implanter dans les mêmes magasins qu’eux ? On finance à fonds perdus les mêmes opérations commerciales ? Pour faire quoi ? Pour faire faillite ? Pour vivre de levée de fonds en levée de fonds ? En recrutant 100 personnes au passage, dont les emplois peuvent être remis en cause à tout moment parce qu’on vit très largement au-dessus de nos moyens ?

 

Je n’ai personnellement aucune envie de vivre ça.

 

Je n’imagine pas recruter à tour de bras en sachant que je n’ai pas le premier euro pour payer les salaires à moins d’une levée de fonds.

 

Je n’imagine pas manager des gens et les inviter à se projeter à moyen et long terme chez nous alors qu’on est sur un modèle mortifère entièrement dépendant des fonds d’autrui.

 

Comme je n’imagine pas signer des chèques pour d’énormes opérations marketing à l’automne quand je sais que j’ai déjà perdu plus de 2 millions depuis le début de l’année.

 

On ne sait pas, au fond, ce que d’autres sont prêts à accepter. On ne connaît pas leur dose d’aversion au risque. On ne sait pas avec quelle dose de soucis ils arrivent à aller se coucher le soir.

On ne sait pas s’ils se voient dans ce business pour 50 ans, si c’est le projet d’une vie, s’ils ont envie de construire quelque chose de vraiment pérenne pour le laisser à leurs familles ou à leurs salariés…

Ou s’ils se voient pour un projet personnel à moyen terme sur une base suffisamment saine pour développer le projet d’après.

Ou s’ils se voient là pour quelques années, pour se faire la main ou les dents, puis partir faire autre chose en laissant éventuellement un champ de ruines financé par un fonds qui travaille dans l’idée que sur 10 investissements, 8 se plantent, 1 s’en sort correctement et le 10ème cartonne.

 

J’ai presque la sensation parfois que benchmarker certains de nos concurrents pourrait surtout nous servir à nous rappeler ce que nous n’avons surtout pas intérêt à faire. Tout simplement parce qu’on est pas eux, mais qu’on est nous.

Podcast – Pourquoi on fait si peu de veille concurrentielle ?

Pourquoi on fait si peu de veille concurrentielle ?

par Nicolas Nolf | Boss Autrement

La veille concurrentielle, dans un marché très concurrencé, est un sujet sur lequel on m’interroge souvent : comment on s’y prend, chez Atavik, en matière de veille concurrentielle ? La réponse est singulière… on en fait formidablement peu. Dans ce podcast, je t’explique pourquoi. Et tu vas voir, ça peut te changer tes perspectives sur ta propre veille concurrentielle.

Et si tu préfères lire l’article, c’est ici.