Et si derrière le micromanagement, se trouvait tout simplement la peur de ne plus être indispensable ?
Troisième et dernier article de ma trilogie sur le sujet du micromanagement. Si tu préfères écouter le podcast, c’est par ici.
J’ai commencé ici par te donner les clés pour reconnaître les signes du micromanagement afin de pouvoir commencer à y remédier. Dans mon second article, j’ai décortiqué ce qui est souvent la cause première du micromanagement : le manque de confiance. Cette fâcheuse tendance à penser, surtout quand on est le fondateur de son entreprise, que sa propre manière de faire les choses est la seule qui vaille.
Dans notre troisième volet, je reviens sur une autre source du micromanagement : la crainte pour le chef d’entreprise, de ne plus être indispensable à sa structure.
Et je commencerai par dire que c’est une cause beaucoup plus dangereuse que le manque de confiance, car c’est le plus souvent une cause invisible et inavouée.
S’agissant du manque de confiance et de la croyance que la méthode du boss est la meilleure, les dégâts causés peuvent être très importants mais le diagnostic est généralement assez facile. Le manque de confiance laisse des signatures visibles : repasser derrière le salarié et toujours trouver à redire, les phrases indiquant qu’on va le faire soi-même ponctuées par « ça ira plus vite », « ça sera plus simple », « j’aime mieux », « j’ai l’habitude »…
Un chef d’entreprise qui micromanage par manque de confiance en son équipe, ça se repère de loin.
Beaucoup plus pernicieux : le micromanagement par crainte de ne plus être indispensable.
Voilà un truc que très peu de chefs d’entreprise avoueront. Plusieurs raisons à cela :
- Parce que c’est un peu ridicule : ça fait un peu le type qui situe toute sa raison d’être sur Terre dans sa seule vie professionnelle.
- Parce qu’on pense que ça va révéler un certain narcissisme : « quelqu’un comme moi (sous-entendu, avec toutes mes qualités), c’est forcément irremplaçable ! »
- Parce qu’on jure souvent le contraire devant tout le monde : « C’est merveilleux, je n’ai plus rien à vous apprendre ! » En mode « je peux quitter ce monde, mon oeuvre est accomplie ». Sauf qu’on reste assis là.
- Parce qu’on se lamente régulièrement qu’on bosse beaucoup trop. Ce n’est donc pas très cohérent de s’en plaindre d’un côté, et d’organiser soi-même son indispensabilité (allez hop, j’invente un mot) en pratiquant le micromanagement.
Donc bien souvent, on fera tout pour ne pas reconnaître que notre problème de micromanagement vient de là. Ne pas le reconnaître devant les autres… voire, ne pas se l’avouer à soi-même.
Donc, premier constat ! Si c’est de là que vient le mal, on ne risque pas d’en guérir ! Comme toujours dans les articles de ce blog, j’en appelle à l’introspection. C’est moins compliqué que ça en a l’air, l’introspection. C’est même assez simple : si ça gratte un peu, c’est que c’est de là que ça vient ! Si tu te demandes un tout petit peu à quoi tu vas servir si tu délègues, ne cherche pas plus loin : la peur de ne plus être indispensable est un sujet pour toi.
Déléguer, c’est se recentrer sur sa valeur ajoutée
La question n’est pas la totalité de ce que tu peux faire pour ton entreprise, mais de ce que tu peux faire mieux que quiconque pour ton entreprise.
Normalement, plus tu avances, moins ces choses relèveront de l’opérationnel. Au début de ton aventure entrepreneuriale, on est d’accord, tu as les mains dans le cambouis : tu fais tout, même ce sur quoi tu n’as pas de valeur ajoutée. Parfois même, tu fais des trucs pour lesquels tu n’es pas bon. Mais il faut bien les faire.
Recruter sert notamment à ne plus faire ce qui ne relève pas de ta valeur ajoutée, c’est à dire, ce qui peut aussi bien être fait par quelqu’un d’autre… voire, ce qui peut être mieux fait par quelqu’un d’autre.
A mesure que tu avances dans les recrutements, il est essentiel que tu te recentres sur ce que tu peux faire mieux que quiconque. C’est le même principe que pour n’importe quel salarié : normalement, ton community manager doit être meilleur que quiconque, dans l’entreprise, pour parler à la communauté. Ta responsable du service client doit être la plus douée pour démêler les problématiques de SAV. Et ainsi de suite.
Tu la connais, ta valeur ajoutée ?
Eh bien en tant que dirigeant, tu es sans doute le mieux à-même de fixer des caps, de voir plus loin que les autres, de prendre en compte des paramètres plus macros que les autres. Tu es sans doute aussi celui qui représente le mieux l’entreprise, son histoire, sa vision, sa place sur le marché au fil des ans. A ce titre, tu es le meilleur interlocuteur pour les financeurs, les investisseurs, les partenaires potentiels, etc.
Mais si ton coeur de métier te fait vibrer plus que les relations publiques, j’ai une bonne nouvelle pour toi : rien ne t’empêche de garder quelques tâches plus concrètes.
Par exemple, je continue de piloter moi-même le développement de mes gammes de produit. L’ADN de ma marque, Atavik, c’est la pratique de la compétition avec les chiens et la vie à leurs côtés au quotidien. Je m’occupe donc intégralement moi-même de la recherche de nouveaux produits et de nouveaux concepts. Je n’ai pas de chef de produits. Pas de category manager. J’en rencontre régulièrement sur des salons. Et je vais te dire un truc super-prétentieux : je n’en ai encore jamais croisé un seul qui me donne l’impression d’être plus au clair que moi sur le sujet. Sur la qualité à rechercher, sur ce qui réussit le mieux à un chien, sur les partenaires industriels les plus compétents, etc.
Alors je continue à m’occuper de ça. J’adore ça. Visiter des unités de fabrication, découvrir les dernières évolutions technologiques qui permettent d’améliorer encore la qualité des produits, des fournisseurs de matières premières qui bossent encore mieux… c’est moi qui monte dans l’avion, qui enfile la blouse, qui arpente les salons, et qui décide si oui ou non, cette nouveauté a sa place chez Atavik. Une fois qu’on la tient, cette nouveauté, le reste de l’équipe se met en action chacun dans son domaine de compétence.
Et je ne dis pas que je n’aurai jamais de chef de produits. Je dis simplement qu’à l’heure actuelle, c’est là que se trouve ma valeur ajoutée. Je fais donc en sorte de pouvoir y consacrer l’essentiel de mon temps, et de confier tout le reste à mon équipe.
Déléguer, c’est gagner le respect, pas le perdre
Il y a quelque temps, un entrepreneur m’a dit un truc qui m’a laissé perplexe : « Je délègue, mais je garde quelques ingrédients secrets pour moi. Je me dis que si je leur donne 100% des clés, ils n’auront plus de respect pour moi. » Le respect, selon cet entrepreneur, ne pourrait venir que du fait que le patron sait un truc que personne d’autre ne sait.
Ceci aurait pour première conséquence collatérale que sur les sujets où ils en savent autant que lui, ils ne lui témoignent plus de respect ? Cela me semble une perspective plutôt dangereuse.
De mon point de vue le respect gagné par le patron doit impérativement provenir d’une meilleure source que le tour-de-main unique qu’il possèderait. Le respect doit notamment provenir du fait que le patron a ménagé les conditions dans lesquelles on peut se débrouiller sans lui pendant un certain temps sans voir la différence.
Car à en faire une question de respect, on s’expose à une deuxième conséquence collatérale : s’il suffit d’une absence du patron pour que le produit ou le service soit loupé, faute du fameux tour-de-main du patron, il est probable que les employés finissent par en vouloir à leur patron. Maintenir cet état de choses, c’est faire courir un sacré risque à son entreprise. C’est une faute majeure de la part du patron, que de ne pas savoir protéger son entreprise d’un coup dur qui l’atteindrait lui. De quoi entamer le respect qu’on aurait pour un gestionnaire aussi peu prévoyant.
Déléguer, c’est protéger la scalabilité et la valeur de ton entreprise
Est-il concevable que ce soit le top du top quand le patron lui-même est aux fourneaux ? Sans doute, oui. C’est le cas dans beaucoup de restaurants étoilés, par exemple.
Est-il concevable que dans ce restaurant les plats ne méritent plus les étoiles dès lors que le patron ne fait plus la cuisine lui-même ? Ce serait beaucoup plus problématique pour la survie de ce restaurant.
C’est aussi ce qui empêcherait ce patron d’ouvrir d’autres restaurants, ou de l’agrandir pour augmenter le nombre de couverts, autrement dit, c’est ce qui empêcherait son entreprise d’être scalable. C’est une entrave énorme à son développement économique, parfois même à sa survie.
Et au final, ce serait aussi une moins-value énorme en cas de cession de son activité. Qui irait racheter une entreprise qui ne tient que par la seule présence du patron aux manettes ? Où en son absence, plus rien de ce qui fait l’avantage concurrentiel n’existerait ?
Déléguer et se rendre dispensable, c’est donc aussi se donner toutes les chances de voir notre entreprise nous survivre… et avec elle non seulement ce que l’on s’est échiné à mettre sur pieds pendant tant d’années, mais aussi les salariés, leurs emplois et leurs familles.
Déléguer, c’est protéger ta santé mentale et celle de tes proches
Sans oublier que si l’on est obsédé par le fait de rester indispensable à son entreprise, on est condamné à très mal vivre ses absences et ses congés. C’est le meilleur moyen de devenir infernal en famille, parce qu’on culpabilise de laisser l’entreprise pour quelques jours et quelques semaines. Quand tu sais qu’en ton absence on envoie les plats sans ton fameux ingrédient secret ou ton tour-de-main magique, tu dors comment la nuit ? C’est une source de stress pour tout le monde.
On dit que « des indispensables, il y en a plein les cimetières ». C’est une manière de rappeler que peu importe à quel point on se croit indispensable, il vient toujours un moment où l’on n’est plus là. On peut aussi y trouver un rappel que le stress permanent de celui qui se croit indispensable peut le conduire à ce cimetière prématurément.
Tranquillise-toi. Selon le stade où tu en es, tu as peut-être encore du mal à l’imaginer. Mais très rapidement tu te rendras compte qu’être indispensable à ton entreprise est le pire qui puisse t’arriver.
Rétroliens/Pings